collectif négatif

DEREK WOOLFENDEN

Cinéaste, programmateur, critique de cinéma et éditeur de la revue Inserts

Interview de Derek Woolfenden à l'occasion du 12ème festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris (déc. 2010)

FILMOGRAPHIE

PORNO I

2000/2001, 09'00

PORNO II

2000/2001, 22'00

PORNO III

2000/2001, 25'00

PETITE EXCROISSANCE

2003, 04'00

CELA NOUS METTRA DU PLOMB DANS LA CERVELLE

2004, 01'00

Derek Woolfenden - That's entertainment, 2004

THAT'S ENTERTAINMENT

2004, 09'00, en distribution chez Lightcone

"Combien fastidieux, rassis, plats et stériles me semblent les usages de ce monde. Pouah !
C'est un jardin où le chiendent monte en graine ; une proliférante et grossière nature envahit tout. En être venu là !"
(The Tragedy of Hamlet, William Shakespeare)

Usurpée, voire souvent censurée, dans ses formes représentatives, la fiction se venge ici (principalement celle des séries B. américaines) et reprend ses droits, en s'insurgeant contre le prétexte informatif, basé sur le fait de tout montrer, jusqu'à l'overdose visuelle. Cette surenchère relève beaucoup plus de la manipulation que de l'information, comme l'attestent les événements du 11 septembre 2001, où les "non dits représentatifs" : la complaisance du récit médiatique, et le commentaire des conséquences morbides à l'intérieur des lieux clos (l'avion et les deux tours jumelles) se mêlent au fantasme collectif de se l'imaginer tel un cauchemar commun.
Désacralisons ces événements pour prendre enfin du recul et constater : "En être venu là !"

Derek Woolfenden - Playdead, 2005

PLAYDEAD

2005, 140'00
Avec : Johanna Korthals-ALtes, Nicolas Batailer, Léa Zinck

"Les fous, les criminels et les poètes ont une seule et même mission : assurer à la société un minimum d'insécurité." (Hölderlin)

Premier long métrage. Fiction expérimentale entre art vidéo et film d'horreur. Essai pop, baroque et pirate autour d'un serial killer.

Ce film n'a pas l'intention d'ériger un discours critique élaboré sur des bases érudites, ou selon des questions contestataires sur nos sociétés actuelles. Il vise une critique instinctive, pulsionnelle et libre à propos de problèmes divers et sociaux.

Ce film est dénué de codes, de dogmes et de limites : il ne renie ou n'encense aucune règle classique. Cette visée instinctive critique a été choisie pour mieux représenter le déploiement affectif, expressif et symbolique du "protagoniste" : un personnage à la fois anonyme et collectif, gangréné et traversé par ce qui nous empêche de vivre. Puisque vivre dans la légalité n'est pas vivre, mais mourir à petit feu : perdre tout sens aussi bien perceptif que critique.

Ce film veut être une analyse du rapport des images entre elles, malgré elles ou en leur faveur.

Aussi, il se définit et s'assume comme patchwork d'images pré-existantes, pour mieux revendiquer un état d'esprit "pirate", fondé donc essentiellement sur la récupération et la substitution, dans une logique aussi bien formelle qu'économique.

Derek Woolfenden - Bodysplit, 2005

BODY SPLIT

2005, 16'00, en distribution chez Lightcone

Body Split est un film triptyque composé de L'Argent, Les Attractions lumineuses, et enfin Le Métro sous contrôle. Ces trois parties sont basées essentiellement sur le détournement d'images d'un point de vue critique, dont la volonté serait d'esquisser ce qu'est devenu le corps humain aujourd'hui.

Mais Body Split est aussi un essai, une sorte d'autopsie, qui tente de retrouver un corps par ce qui constituera désormais sa mémoire : les images.

Le corps est instrumentalisé, manipulé, voire désincarné. Qu'est devenu notre propre corps sinon un "patchwork" d'images, un automate fonctionnel rentable, une machine de guerre institutionnelle, un objet sexuel. Et qu'est-ce qu'une image sinon un cadavre exquis, il n'y a presque plus rien d'organique. La véritable horreur est de constater : mais où est passé mon sang ?

Derek Woolfenden - Mirodrome, 2005

MIRODROME (PEEPSHOW 1 et 2)

2005, 08'00, en distribution chez Lightcone

Diptyque dont les deux panneaux se rejoignent de l'extérieur vers l'intérieur, des néons publicitaires et enseignes lumineuses qui racolent les passants devenus spectateurs sur les boulevards, aux antres infernales du sexe, devenu pur produit du consumérisme, indissociable aujourd'hui du plaisir, de l'orgasme.

Le premier panneau (Peep Show 1) aborde ce sujet avec un esprit ludique et ironique, tandis que le deuxième (Peep Show 2), plus désespéré, plus noir, plus crade, l'aborde de manière chaotique, voire incandescente. Déambulations nocturnes, internes, externes, critiques autour d'un paysage urbain réel, les sex-shops de mon quartier, entre Pigalle et Place de Clichy, et d'un paysage fictif, les sex-shops des films américains (New York et Los Angeles)...

Ces déambulations cinéphiles sont des prétextes pour établir un état des lieux de la représentation du corps féminin par l'imaginaire collectif proprement masculin et son ego libidinal, et ce, non sans cynisme et ironie.

Derek Woolfenden - Vigilanti Cura, 2005

VIGILANTI CURA

2005, 20'00, en distribution chez Lightcone

"Ce qui est personnel est politique." (slogan des années 1970)

Vigilanti Cura est un film irrévérencieux, insolent, volontairement confus, voire chaotique, un fourre-tout immoral. Un film de "mauvaise foi". En effet, le montage offrira la possibilité d'alterner les images d'archives officielles diverses et variées de la Fête de l'Huma, avec d'autres images, médiatiques (du défilé du 14 juillet aux tristes célébrités politiques actuelles) ou cinéphiles (écriture automatique d'un puzzle de motifs empruntés à des films existants).

Vigilanti Cura, ou simple constat figuratif de la perte de l'homme aujourd'hui, au milieu de tous les intégrismes, politiques, sociaux, religieux.

Derek Woolfenden - Yo-Yo Rated, 2006

YO-YO/RATED

2006, 20'00, en distribution chez Lightcone

YO-YO/Rated est à la fois une installation et un patchwork d'images préexistantes : archives de la fête de l'humanité, journaux et jeux télévisés, émissions de variétés, films, dessins animés, défilé du 14 juillet, internet. L'installation présente deux amis se masturbant devant la caméra : ils sont en compétition, l'un des deux doit éjaculer avant l'autre et vaincre la confusion des images devant eux. Ils échouent tous deux et témoignent ainsi de l'impuissance aujourd'hui à s'affirmer tant sur un plan moral que social. C'est un peu l'éloge de la non-réussite, de l'échec total, de l'humiliation virile (l'un est en semi érection et l'autre ne bande même pas), de la régression volontaire et revendiquée pour renouer avec un état primitif, instinctif. Cette installation est comme un rite révélateur de nos tabous toujours en vigueur, mais sur un mode comique : cette performance n'arrive pas à se prendre au sérieux et ses protagonistes dénoncent, au fur et à mesure, tous les accessoires et le stratagème de la mise en scène pour combler l'impuissance généralisée, de l'acteur au réalisateur.

Dans un deuxième temps, un montage de found footage témoigne d'un possible hors-champ ou contre-champ de l'installation (une télévision, un ordinateur ?) qui expliquerait, voire même justifierait, l'impuissance des deux compères. Aujourd'hui, plus rien ne fait bander.

Une explosion de feux d'artifices vient clore le film se mêlant aux canons militaires, bouquet final faisant l'éloge funèbre à l'amitié, en proie aux séparations, tel un déchirement entre le passage de l'enfance à celui de l'âge adulte ; à l'image du titre d'ailleurs, de l'enfant qui fait du yo-yo à l'adulte qui fait des films qui doivent être évalués par une Commission, autrement dit des censeurs, des juges, des pères !

"L'humanisation de l'homme, c'est cela : l'échafaudage qui construit l'image du Père. (...).
Voilà ce que les comptables n'admettront jamais : que tout meurtre soit marqué de parricide.
Voilà ce qu'ils n'admettront jamais : que la banalisation du meurtre aujourd'hui plonge ses racines dans l'abolition du Père.
Voilà ce qu'ils n'admettront jamais : quand s'efface dans la société l'image du Père, l'image de l'Idole la remplace.
Quel que soit le nom de l'Idole (...) le tyran est toujours une caricature du Père démonétisé."
(Pierre Legendre, "La Fabrique de l'homme occidental")

Derek Woolfenden - Que Sera Sera, 2006

QUE SERA SERA

2006, 07'00, en distribution chez Lightcone

"La publicité n'est que la partie glorieusement ostentatoire d'une entreprise de crétinisation qui conditionne les gens avec les procédés que le savant stalinien Pavlov expérimentait avec succès sur les chiens. Ce n'est pas l'image qui est obscène, c'est la publicité, ce n'est pas l'affiche exhibant une femme ou un homme nus, voire - comme s'y résoudra quelque jour la logique de la surenchère - un couple qui fait l'amour, c'est l'usage qui en est fait pour vendre et produire du profit.
Ce n'est pas ce qu'elle montre qui est offusquant pour l'enfant, c'est le but qu'elle poursuit, c'est l'effet prédateur qu'elle exerce sur son innocence abusée, car elle l'appâte avec la pacotille du bonheur consommable pour l'assujettir à la tyrannie de la mode à suivre, du produit à posséder, de l'apparence à respecter, de l'argent à acquérir sans vergogne pour acheter les plaisirs factices d'une existence sans attrait (...). (On est jetés) "en pâture à un affairisme aux yeux duquel les sentiments n'existent qu'à la condition de produire de l'argent."
(Raoul Vaneigem, "Rien n'est sacré, tout peut se dire", 2003)

"Ce qui tourmente les hommes, ce n'est pas la réalité mais les opinions qu'ils s'en font." (épictète, Manuel)

Film cynique, même misanthrope qui, derrière une apparence potache, énumère et décline quelques-unes des collectivités bestiales mythologico-historiques issues de notre imaginaire populaire : les ânes de Collodi, les rats de Hamelin, les cochons de Circé, les moutons de Panurge, les chiens de Pavlov. La télévision aujourd'hui est comme une gigantesque ferme où l'on promet la réussite sociale et la célébrité de la même manière que l'on promet à Pinocchio de ne plus jamais travailler, mais de s'amuser pour toujours avant qu'il ne soit transformé en âne ! L'individualité n'est plus et Don Quichotte n'est plus tout seul à croire aux moulins à vent !

Derek Woolfenden - Black's Back, 2009

BLACK'S BACK

2009, 12'00, en distribution chez Lightcone
film complet visible en ligne sur le site du CJC

Ce film relève d'une vision subjective et fantasmée autour d'un combat figuratif qui opposerait un imaginaire occidental incarné par Disney et celui lié aux mouvements politiques se rattachant à la condition des Noirs aux Etats-Unis et au "Black Power".

De la même manière que le Boléro de Ravel narre une danseuse entraînant successivement tout sur son passage, la chanson de Camille Yarbrough, All Hid, construit Black's back.

Images médiatiques et fictives s'entremêlent pour dégager un chant cinéphilique dévoué à une photogénie qui se caractérise moins par la couleur de peau que par ce que son sujet incarne : une énergie vitale, explosive, décomplexée et donc subversive.