collectif négatif

AVERTISSEMENT À LA VISION DES FILMS DE TONY TONNERRE

par Derek Woolfenden

Peintre et vidéaste d'une trentaine d'années, Tony Tonnerre est le seul artiste réellement indépendant que nous connaissons et que nous avons eu la chance de rencontrer grâce à Lionel Soukaz.
Son indépendance, cela signifie une puissance radicale autant économique que formelle qui laisse le spectateur médusé devant une violence extrême, pas seulement dans le choix de ses motifs, mais surtout parce qu'elle pointe nos tabous moraux les plus condescendants, et grâce auxquels il exprime son mal-être rageur, et qu'elle accuse ce qui nous délie aujourd’hui les uns des autres. Cela s'exprime chez lui avec une intensité instinctive, un humour ravageur, le tout sans lourdeur, mais sans pincettes non plus : "On n'est qu'une vulgaire histoire de fric et de cul" (La vie en rose, 2003), "La vie c'est la taule, la mort c'est une caisse en bois ; la vie c'est "ferme ta gueule", la mort c'est "elle est où ta gueule" (...)."Tout appartient à l'argent, tout appartient à la mort." (Nos Amis les Hommes, 2004)

Oeuvre dérangeante, mais jamais complaisante, et toujours incandescente, vouée, par l'entremise de son être à vif, à dénoncer un rapport au monde des plus terrifiants dans le traitement que celui-ci nous inflige. D'une part, ce monde n’'exprime rien de plus qu'une négation de l'’Autre, et d'autre part, il nous instrumentalise sans distinction ni de races, ni de classes, mais à une échelle différente bien sûr. La force polémique critique des films de Tony Tonnerre réside avant tout sur ces points.

Armé d'un petit caméscope analogique, d’un magnétophone puis enfin d’'un magnétoscope qui lui sert de table de montage, il recrée à lui seul un environnement de pure violence et devient schizophrène : le son représenterait un extérieur social, une ouverture au monde soit condamnée, soit endeuillée, et l'image, son espace vital, généralement clos où il se montre dans le champ comme un animal en cage.

Dans un premier temps, il "mime" plusieurs voix et simule des conversations radiophoniques. Dans un second temps, il filme (enregistre) les images quotidiennes les plus crues ou scandaleuses via des performances limites avec son propre corps (véritable toile tendue dont le châssis serait un carrelage, une rue, une cuvette de WC, un mur, les recoins "désaffectés" d'un appartement) tout en diffusant, en hors champ, "ses" voix enregistrées au préalable.

Enfin, il monte à même un magnétoscope en perturbant, saccadant ses propres performances pour constater et retranscrire sa perception critique du monde : un attentat permanent que les gouvernements, ou toutes formes de logique politique et de pouvoir, commettent sur l'individu et sur le peuple. Cette démarche autodidacte renverse toute caractérisation morale ou sociale : on est tous logés à la même enseigne, victimes du système morbide que l'on a créé.

Tony s’en va-t'en guerre avec ses orifices les plus sulfureux : de sa bouche à son trou du cul. Voilà ce qui traduit de la vision la plus pornographique* qui soit de notre univers terrestre, c'est-à-dire un regard dur, juste, mais sans concessions. Aucune.

*"Pornographique" est entendu comme terme utopique désignant un regard personnel sur la représentation de nos parties intimes et de leur union. Et non comme ce qui se rattache à la production qui brasse les corps et l’argent à la même enseigne, confèrant à ce type de représentation une mécanique clinique digne de l'ouverture des Temps modernes de Chaplin.

Derek Woolfenden, octobre 2005.