Ce qui est personnel est politique. (slogan des années 70).
"La plupart des gens ont le courage de vivre leur vie ; très peu ont le courage de la représenter." (Jean-Luc Godard au magazine télévisé "Droit d'auteurs" du 6 décembre 1998 sur la 5ème).
Du sujet traité à l'objet filmique fini, nos films sont "irrécupérables".
En effet, les sujets qui nous intéressent relient souvent "le coq à l'âne" et dégagent notre culot provocateur qui n'a rien à perdre (et rien à gagner !). Ainsi, on passe de nos propres sentiments, ceux évidemment affectifs, souvent dépressifs, à une critique sociale sans concessions des événements politiques aux traditions judéo-chrétiennes monolithiques.
Soit cette critique est éclatée, et s'exprime par une succession de motifs reconnaissables détournés de leur contexte routinier (Yves-Marie Mahé et Derek Woolfenden). Soit elle est concentrée, renfermée pour mieux perturber le spectateur qui y reconnaît une violence qu'il occulte généralement (Boris Du Boullay, Tony Tonnerre). Ou cette critique est nulle, voire indifférente aux questions politiques et médiatiques qui nous environnent pour se consacrer à transformer le médium de la caméra en artisanat modeste et précieux, c'est-à-dire la débarrasser de toutes les contingences morales et sociales qui s'y rattachent systématiquement (Vân Ta-Minh).
Faire des films irrécupérables, c'est aussi une manière de se protéger d'une critique séduite par l'aspect esthétique du cinéma. On ne nie pas la dimension esthétique du cinéma, mais on ne veut pas encourager pour autant le "bon goût" qui pollue de plus en plus la perception et le regard critique des films.
Faire des films qui s'insurgent contre l'idée même de confort. On n'est pas là pour évader le spectateur, ni pour avoir un quelconque message à lui communiquer, mais on n'est pas non plus contre ! On est beaucoup plus dans une démarche instinctive, impulsive, brute... L'évasion ou la démonstration morale ou pédagogique dans un film ? Pourquoi pas ! Du moment, qu'elles ne sont pas à l'origine du projet et qu'elles ne
l'influent pas sciemment.
On ne veut surtout pas rentrer dans un moule, une case, être rangé aussi bien dans le confort critique que dans celui réceptif du spectateur. Nos films (se) font violence. D'abord et surtout vis-à-vis de nous-mêmes, puis dans l'extraversion de nos problèmes affectifs que l'on partage sans pudeur avec le spectateur.
"Chaque peur cache un souhait, et les choses dont on a le plus peur sont celles dont on espère en secret la réalisation." ("Edmond", pièce de David Mamet portée à l'écran par Stuart Gordon)
Notre collectif n'est pas une succession de dogmes. On n'écrit pas de manifestes, on veut juste décomplexer et rendre tactile le cinéma au spectateur, voire même le rendre organique. Ne pas isoler et inférioriser le spectateur, pourvu qu'il se sente reconnu dans nos films, qu'il y partage ses problèmes pour mieux les expulser grâce à nos corps, notre grain vidéo, de pellicule, nos pixels, nos erreurs, nos imperfections, nos orifices, nos cicatrices !
"Un film ne doit pas avoir honte de ses cicatrices."(René Vautier)
"Je le répéterai sur tous les tons, le monde n'est habitable qu'à la condition que rien n'y soit respecté." (Georges Bataille).
Illégaux parce qu'obscènes dans la mise à nu que nos films opèrent sur nous-mêmes, dans notre intimité dévoilée (de ce que l'on pense et ressent vraiment à l'intimité sexuelle) et dans le dépouillement esthétique qui vit souvent des restes du Cinéma (celui distribué en salles). Attentats de pellicules à la javel et bandes annonces scratchées avec Yves-Marie Mahé. Collecte d'images piratées et refilmées depuis un poste télévisé avec Derek Woolfenden. Pastiche "clownesque" de Boris Du Boullay sur tout ce qui relève d'une société du spectacle que sa seule présence va venir dépouiller ou contredire...
Illégaux parce que nos films s'insurgent de manière impulsive et instinctive contre la normalité de la représentation ainsi qu'à son code moral comme légal (éléments pornographiques, droits d'auteurs bafoués des images réemployées aux musiques utilisées, détournées ou pas,
performances de rues sans autorisation...).
Soit nos films pastichent cette représentation vampirique, soit ils en reprennent le caractère étendard ou spectaculaire qui embourbe bien trop souvent l'attention du spectateur dans la bêtise de sorte à ce que ses réflexes critiques les plus vitaux en soient ébranlés, affectés.
"Ce qui importe n'est pas ce que nous apportons, mais ce que nous mettons à mort." (Karl Kraus, "Aphorismes")
"Morts nés" ? Non dans l'intention, mais dans le constat flagrant que nos films ne peuvent entrer dans une logique marchande du fait même de la pénurie expérimentale, de son audimat à ses moyens et du manque général de curiosité à son égard. Du public en général aux cinéastes mêmes qui font ce cinéma ! Et puis, faut pas trop rêver, on vit broyé par des questions de légalité et nos films sont "proprement" illégaux vis-à-vis de toutes ces questions "politico-juridiques" !
"Les choses n'existent que s'il leur arrive quelque chose, si on les déplace de leur cadre habituel en renonçant à employer les mêmes mots pour les définir. De ce déplacement survient quelque chose de réel au sens fort." (André S. Labarthe, "Les Périphériques vous parlent", n°18, 2004, p.4).
Mais ce qui nous unit tous, principalement, c'est ce besoin de détourner ce que l'on voit et se le réapproprier non pas dans une logique opportuniste propre au milieu publicitaire, mais dans une logique affective désespérée. Le cinéma dominant devient une alimentation générale où l'on va se servir sans complexes pour faire notre cuisine de cru et se débarrasser de tout son discours moral ou politique habituel : transformer ainsi le cinéma dominant en chantier ludique, nihiliste, intimiste, sexuel.
Yves-Marie Mahé utilise principalement des images pornographiques. Avec lui, le corps de la femme devient le point de mire de ses affects et le montage confronte sa propre libido à une critique sociale des plus noires, mais aussi à une critique masochiste de son rapport aux images : l'ambiguïté dans l'utilisation paradoxale de celles-ci est son fer de lance.
Boris du Boullay, avec ses saynètes, se filme au jour le jour, confiant à la caméra (et à l'enregistrement numérique) toute sa vie dans le sens propre comme figuré. Un combat titanesque est entamé entre son rapport identitaire, sexuel, auto-pictural contre celui, en hors champ de sa caméra, de l'enfer social des "autres".
Tony Tonnerre est une bombe à retardement. Il se replie, peint, puis c'est l'explosion, il enchaîne 5 à 6 films durant une courte période afin de défouler ses pulsions affectives, transformant l'enregistrement numérique et analogique en véritable châssis de peintre. Il y confronte les tabous sexuels de notre société occidentale judéo-chrétienne aux orifices de son propre corps qui démentent l'ouverture d'esprit et l'hypocrisie de la première.
Derek Woolfenden est mort ou ne veut peut-être plus appartenir à un monde qui se complaît dans la vantardise de son absence d'affects. Il ne vit que par l'intermédiaire d'un écran ou de l'"orifice" d'une caméra et ses films revendiquent l'hybridation des supports comme des sujets, le métissage aberrant des citations visuelles, sonores et musicales afin que des dialogues imprévus s'instaurent entre Mr William Shakespeare et Mr Tex Avery par exemple.
Enfin, Vân Ta Minh est le paradoxe du collectif. Elle aére et vient contredire la vision désenchantée des autres membres du collectif, nous confirmant que l'on n'est ni un manifeste, ni une succession de dogmes, mais un groupe d'amis dont les moyens précaires et les déploiements affectifs, que nous permettent une caméra, nous unissent plus que n'importe quel idéal qu'il soit créatif ou politique. Ses films "bricolés" témoignent d'un sens graphique incisif et d'une dimension radicale dans le minimalisme de chacune de ses "entreprises" artisanales, mais une certaine légèreté apaisante s'en dégage, créant à elle seule la balance avec les énervés du collectif.
Un collectif aussi, et c'est pourquoi j'ai accepté d'y participer, c'est aussi oublier son ego qui se juxtapose et se confond souvent avec le film même. Nous partageons tous, plus ou moins, un univers qui traduit d'un mal être social et d'un désespoir que notre époque et g&énération ne démentent pas. Aussi, on s'attaque tous, de manière consciente ou inconsciente, aux tabous érigés depuis l'enfance par notre culture et notre classe sociale. Et c'est prométhéen et idéaliste de se confronter non pas à un imaginaire dominant et environnant, mais se confronter directement au sien qui en découle. Se faire violence, lutter contre soi-même, ce double social et moral et se perdre volontairement pour détruire ce qui est le pire chez l'homme, ses habitudes, le besoin condescendant d'"éduquer" (contrôler ?), son confort, sa dépendance affective à l'autre et sa faculté de suivre des partis pris, des idées reçues pour se sentir moins seul...
J'aime l'idée d'un collectif qui regroupe peu de personnes et qui traîne à la périphérie d'une certaine idée de la normalité pour mieux la contaminer ou l'ébrécher, à la périphérie de la bonne morale et bonne conscience pour mieux la souiller.
"Mais quelles sont alors les sources de notre connaissance ? La réponse, me semble-t-il, est celle-ci : il existe toutes sortes de sources, mais aucune d'elles ne fait autorité." (Karl R. Popper, "Des sources de la connaissance et de l'ignorance").
À une époque qui assèche les liens humains de plus en plus, il fait bon de participer à ce "Collectif Négatif" dont le terme désigne aussi bien la pellicule de film (le négatif lors du développement du film en laboratoire), que le nihilisme désespéré des cancres que nous sommes d'un point de vue extérieur à notre démarche et du bon goût corrupteur. Non par provocation ou complaisance, mais pour des sensibilités à vif, à fleurs de peau dont les films représentent un inconscient très, très, très énervé !
"Oh ! je vous aime tous, et je vous plains, car vous êtes contraints à vivre et n'êtes que le tas de fumier d'où doit jaillir l'avenir, car vous n'êtes que les instruments et les organes génitaux de l'espèce, et vous vous croyez tenus de vivre pour d'autres. Je suis pour moi seul !" (Stanislas Przybyszewski, "Messe des morts").
Derek Woolfenden, novembre 2007.